SAINT MICHEL – 13 octobre 2024 - PEROLS

« Mon Dieu, mon Dieu, Donnez-moi ce qui vous reste. Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais... »

Le soldat la murmure souvent, cette prière. Il la mâche avec son pain de guerre. Il la chante aussi pour qu’elle monte – portée par le vent de Toulouse, en passant par le camp de Bouar, les “deux-cents-villas” de Bangui, les popotes de Libreville et celles de Kigali, les palmiers de Faya-Largeau et les sables d’As Salman, les faubourgs de Kaboul et les joncs d’Indochine – jusqu’au ciel. Décidément, le soldat français n’a pas froid aux yeux, pour jeter, avec insolence, à la face de Dieu : « Je ne vous demande pas le repos ni la tranquillité ni celle de l’âme, ni celle du corps.  Je ne vous demande pas la richesse ni le succès, ni même la santé ».

Alors, que demande-t-il au juste à ce Dieu qui peut tout donner et qui peut donner surtout « ce que l’on ne peut obtenir que de soi ? ». Coiffé d’un béret ou d’un képi, sourire innocent aux lèvres, regard lointain avec un brin de cynisme et de désinvolture, toujours avec la même insolence, il prie : « Je veux l’insécurité et l’inquiétude.  Je veux la tourmente et la bagarre Et je veux que vous me les donniez, Mon Dieu, définitivement Que je sois sûr de les avoir toujours... » Soit ! Sait-il vraiment ce qu’il demande ? En est-il bien conscient ? Se souvient-il d’une réplique de Jésus qui, à une demande insensée de la mère des fils de deux de ses disciples, a répondu : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire ? ».

Effectivement, il n’a pas froid aux yeux, car l’insécurité et l’inquiétude, c’est exactement l’inverse de ce que recherche l’homme de ce temps, pour vivre normalement, tranquillement, dans sa maison, avec les siens, dans la paix. Et la tourmente et la bagarre n’intéressent que des voyous et des bandits, car l’homme normalement constitué et bien élevé leur préfère une vie calme, bien ordonnée et bien réglée, avec ses huit heures de sommeil, son café du matin et ses pantoufles du soir. Mais lui, apparemment, il sait ce qu’il demande. Il ne cherche pas l’insécurité et l’inquiétude pour elles-mêmes. La tourmente et la bagarre, il s’en passerait volontiers. S’il les demande, et il sait très bien ce qu’il fait, c’est pour pouvoir les accepter si un jour elles se présentent. Car il veut être toujours prêt, comme dans l’Évangile, ne sachant ni l’heure ni le jour. Être prêt à défendre toutes les valeurs qui lui sont chères. Être prêt à sauter sur Diên-Biên-Phu ou Kolwezi. Prêt à passer des mois dans les tempêtes de sable du Golfe. Prêt à affronter les Khmers rouges au Cambodge. Prêt à débarquer sur l’aéroport de Kigali et à évoluer dans une ville mise à feu et à sang par une folie meurtrière. Prêt à défendre les populations en détresse à Sarajevo ou Gorazde, prêt à affronter les terroristes islamistes dans les déserts du Mali, prêt à nous protéger sur le sol de France aujourd’hui contre la folie meurtrière de ces mêmes fous de Dieu. C’est pour cela d’ailleurs que sa prière se termine par une supplique sublime : « Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste.  Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.  Mais donnez-moi aussi le courage Et la force et la Foi. »

 Le courage qu’il demande signifie « faire malgré ». Courir malgré la fatigue. Tenir debout malgré la lassitude. Rester éveillé malgré l’ennui. Recommencer toujours la même chose malgré une envie terrible de tout laisser tomber. La force dans la prière n’a rien à voir avec « de gros bras musclés ». Celle que l’on demande vient d’ailleurs. Elle permet de faire tout ce qu’on fait de toutes ses forces, de toute son âme et de tout son cœur. Pour être le meilleur dans le service. Être le premier à sourire, à tendre la main, à pardonner, à aimer. Adhérer à toute mission quels que soient son caractère et le degré de sa difficulté. Pour réussir, il faut avoir entraîné le muscle qui est au fond de sa poitrine, le cœur.Et le sien est gros comme une caserne.

Et la foi ? Sa foi est souvent celle d’un enfant. Celle où le oui est un oui et le non est un non. Elle est celle du centurion que Jésus a récompensé d’un regard attendri et d’une déclaration admirative : “En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi” (Mt 8, 11).                                                                                 

C’est dans cette foi spontanée et profonde du soldat-parachutiste que l’aumônier militaire puise ses forces au quotidien. Le Père Marcel Jégo fondateur de notre fête n’a pas eu l’occasion de rencontrer André Zirnheld auteur de la prière du para, mais il connaissait sa prière. Il pressentait au fond de lui-même qu’à chaque rassemblement des parachutistes, cette prière allait être murmurée, récitée, chantée, pleurée même car chargée d’émotions, de souvenirs de défis relevés, de combats menés ensemble, et de visages disparus dans les combats. Son pressentiment se confondait avec un désir, celui datant déjà de l’époque de son maquis dans la Résistance, en tant que Paul-Marie Bayard, distribuant des médailles de saint Michel qui servaient à ses agents de signe de reconnaissance : le désir de proclamer l’Archange Michel comme Saint Patron de tous les parachutistes.  Son séjour en Indochine, en même temps que celui de ses complices, les Pères Mulson et Casta, s’y prêtera à merveille.

L’archange Michel est abondamment mentionné dans l’Ancien Testament : “Mais auparavant, je vais te révéler ce qui est écrit dans le livre de vérité. Personne ne me soutient contre tous ces adversaires, excepté Michel” (Daniel 10, 21). Et plus loin, dans le même livre : « En ce temps-là, se lèvera Michel, le grand chef »(12, 1). Ce grand chef lance enfin le combat : « Alors une bataille s’engagea dans le ciel : Michel et ses anges combattirent contre le dragon, et celui-ci les combattit avec ses anges ; mais le dragon ne remporta pas la victoire et lui et ses anges ne purent maintenir leur position au ciel. Il fut précipité, le grand dragon, le Serpent ancien, qu’on appelle le diable et Satan, celui qui égare le monde entier. Il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui » (Ap 12, 7-9).

Enfin, considéré de temps immémoriaux comme le protecteur de la France – Clovis l’invoqua à Tolbiac, Charlemagne le fit représenter sur l’étendard de son armée – saint Michel nous rappelle notre engagement à servir notre Patrie. Cette fête traditionnelle est également le moment de communier, dans cet idéal parachutiste, de revivifier nos promesses des premiers jours, comme on revivifie à chaque instant ses premières amours. Le moment aussi de nous souvenir de l’héritage héroïque de nos anciens, qui sont morts en vrais paras « comme des chevaliers et des preux ». Méditons dans nos cœurs leur sacrifice. Il doit nous inspirer pour nos combats d’ici et maintenant.

Saint Michel, pour les parachutistes, dépasse aussi les symboles religieux. L’idée d’adopter saint Michel comme patron des parachutistes vient bien de nos aumôniers, de nos aumôniers catholiques. Soit. Pour autant, dans nos régiments, nos amicales, il n’y a pas d’exclusive chez nous. Nous fêtons tous avec le même élan, le même enthousiasme notre saint patron, peu importe la religion de chacun ou même qu’il soit agnostique ou athée. Il nous rassemble dans une belle cohésion, autour de valeurs qui sont notre noblesse. Saint Michel est un symbole religieux pour ceux qui ont une religion, qu’il s’agisse des musulmans, des juifs et des chrétiens. Pour tous les paras, il est le symbole de notre état, de nos valeurs, soldats généreux, soldats de l’urgence, dévoués à leur pays, prêts à fondre sur l’ennemi, cette hydre qui se niche dans le cœur de ceux qui se complaisent dans le mal. N’oublions pas que l’homme a besoin de symboles et d’idéaux,. Face à l’imminence de la mort, le besoin de spirituel est grand pour l’accepter et se donner.  Oui, nos Anciens descendus du ciel ont découvert l’enfer et ont repoussé les limites codifiées du courage avec des devises légendaires qui fédèrent les énergies et suscitent le courage, telles que “être et durer”, “qui ose gagne”, “en pointe toujours”, “rien ne saurait t’émouvoir”, “au-delà du possible” « Croire et oser » Beaucoup, poussés par la Foi et cette humanité qui soude nos troupes, ont écrit l’histoire en inscrivant dans le sable, la boue, les rizières, les djebels et les mechtas, la plus pure définition du courage avec leur sueur, leurs tripes, leur sang, ce sang qui ne sèche jamais lorsqu’il a coulé au combat. Saint Michel veille avec bienveillance sur nos Paras de légende, dont certains sont devenus des héros, mais aussi sur les paras de toutes les unités, françaises et étrangères (par exemple, les paras de la 82e Airborne, venant du Tennessee, du Nevada et de Géorgie, tombés au petit matin à Sainte-Mère-Église), qui ont versé leur sang sur tous les théâtres d’opérations, sans jamais voir le soleil se coucher. Tous ces paras vivent dans l’ombre de notre Archange et méritent, par leur sacrifice, que nous suivions leur exemple. 

Tout en ayant une connotation religieuse, ce symbole du guerrier céleste a également une connotation laïque. Il personnifie le guerrier, le combattant, le Français même qui s’insurge contre le mal. Pas forcément au nom de Dieu, mais au non des valeurs simples qui nous sont chères, républicaines et patriotiques. C’est l’idéal des Hommes qui servent la France, méprisant le danger pour le bien de l’homme et l’honneur de nos drapeaux.

C. Chanliau