Décembre 1950 en Cochinchme, j’ai « choisi» ma blessure.


C’est ce que j’ai déclaré à mes voisins de table courant Novembre 2010, au cours d’un repas organisé à Planet Asie par I’ATDM 34.
Il faut l’écrire çà, m’ont-ils dit. C’est vrai je n’y avais jamais pensé Voici donc les faits, avec une rétrospective de 60 ans.

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Or donc, dans le cas d’une grande opération qui devait durer plusieurs jours, dans la région de Ba Dong, province de Tra Vinh, nous sommes convoqués dans la soirée pour le briefing préparatif du lendemain. J'étais sergent au 43ème QIC.
Un message nous apprend que, dans la journée écoulée, un copain avait sauté sur une mine et ainsi perdu ses jambes. L’émotion était grande et chacun d’entre nous a donné son avis envisageant le cas d’une blessure éventuelle.
A mon tour j’ai dit que s’il m’advenait un tel sort je préférerais perdre un bras plutôt qu’une jambe car, dans ce cas, j'aurais quand même la possibilité de me déplacer, d’être plus autonome, en sportif que j'étais.
Très tôt le lendemain matin, la progression s’est déroulée en direction du village de Ap Cai Doi ou du moins par les rizières et les diguettes parallèles à cette petite localité que je devais éviter. La longue colonne s’étirait derrière ma section de tête.
Des tirs provenant du village nous ont contraint de nous arrêter et de prendre nos dispositions provisoires de défensive à l’abri des diguettes, alors que les tirs s’intensifiaient, une 12,7 entrait en action.
Notre PC alerte par DLO pour intervention de l’artillerie. Les premiers obus de 88 tombent aux abords de la section, un soldat cambodgien reçoit un petit éclat... Le bruit a couru selon lequel le DLO aurait donné à l’artillerie ces coordonnées en omettant de préciser qu’une section se trouvait 400 mètres devant.
Les Viets montent à l’assaut vers nous drapeaux et clairon en tête.
La section progresse vers eux et, à un certain moment, je sens à l’avant bras droit une petite éraflure et, mentalement je dis: « mais dans la rizière il n’y a pas de ronces !!! ».
Quelques minutes après, pour appeler un de mes hommes, je lève le bras droit et, aussitôt, un jet saccadé de sang s’échappe de ma manche de treillis et je constate avec stupeur que mon pantalon est déjà plein de sang coagulé. Ma progression est arrêtée car je perds connaissance.
Quand je reprends mes esprits, je constate que je suis adossé à une diguette et, face à moi, découvre que Nguyen Van Bi est gravement blessé, le cou et le treillis baignant dans le sang. Comme les viets dans leur assaut avaient aussi des coupe-coupe, j’ai craint que Bi en ait été victime. En réalité il a reçu une balle qui lui a traversé le cou de part en part sans toucher les organes vitaux.
Après avoir de nouveau perdu connaissance en raison de la quantité de sang perdu à mon insu, je constate que les «crabes» de la Légion investissaient rizière et palmeraie.... Le combat cessait, mais l’opération se poursuivait ; j’étais allongé sur un crabe, les autres blessés derrière le mien.
Le patron des crabes m’a réconforté en me disant qu’un autre de ses véhicules amphibies portait un capitaine viet avec ses deux jambes en moins. Ce patron, adjudant chef de la Légion, avait été précédemment commandant major de l’Africa Corps en Afrique du Nord.
Je serai opéré le soir à l’antenne chirurgicale après avoir passé la journée en plein soleil sur le crabe, l’opération militaire ayant du suivre son cours.
Ma blessure: blessé par 2 balles de 12,7 au bras droit et à
la main droite, avec section du médian et du cubital. l'artère sectionnée .
Etait-ce écrit 7 ou prémonitoire

Merci la légion

PS : C'est depuis ce jour que droitier d'origine, il m'a fallu apprendre à écrire de la main gauche